“Je suis d’où je vais”

Exposition de Loris Agosto en collaboration avec Alessandro Monsutti – du 1er mars au 30 juin 2024, à la Bibliothèque.

Tarcento, Tarcint, Čenta, la prétendue Perle du Frioul, aux confins nord-orientaux de l’Italie, une appellation flatteuse que j’ai toujours trouvée fallacieuse, qui alimente un attachement nostalgique à un âge d’or passé, celui des années vingt, trente, mais aussi cinquante et soixante.

Je me suis toujours méfié de tout discours qui présente le temps comme un mouvement linéaire, de progrès ou de décadence, qui idéalise le futur ou symétriquement le passé. Une perle est convexe, lisse, brillante. Le terme ne décrit pas les caractéristiques du territoire de la haute vallée du Torre, avec ses eaux, avec ses forêts, avec ses roches, avec ses plis, avec ses fissures… avec son passé de dévastation causée par les guerres ou les séismes, avec sa stratification linguistique (italien, frioulan, slovène), avec les réminiscences d’une histoire de frontière pas toujours assumée… Décidément, les œuvres enchevêtrées et stratifiées de Loris Agosto entrent en résonance avec ces lieux et leurs habitants, s’inspirant des reliefs des Préalpes juliennes qui se développent comme les draps d’un lit défait. Une ouverture sur le monde en s’appuyant sur ce qui nous entoure, qui exprime la vivacité du présent, l’intensité du voyage intérieur, la force des liens entre les personnes. Lumières et ombres, couleurs et formes, joies et peines, espoirs et secrets.

« Je suis d’où je vais ! », me dit un vieux montagnard afghan un jour du lointain été 1996. C’était peut-être la réponse littérale à l’une de mes questions d’ethnographe scrupuleux qui lui demandait d’où il venait. Pourtant le sourire énigmatique de mon interlocuteur, le souvenir de la bienveillance avec laquelle il m’a regardé, du morceau de pain qu’il a partagé sans hésiter avec moi lors d’une pause m’ont convaincu que cette phrase en apparence paradoxale avait un sens plus profond. Peut-être s’agissait-il de la citation d’un de ces poètes mystiques de langue persane que les paysans, même non scolarisés, connaissent par cœur. Chaque créature est destinée à retourner auprès de son créateur. Nous ne sommes pas définis par l’endroit où nous sommes venus au monde, par un lieu d’origine présumé, mais par la manière dont nous nous déplaçons d’un point à un autre, entre la naissance et la mort, par notre horizon. La vie en action, la vie comme voyage. Un voyage existentiel au plus profond du territoire auquel Loris Agosto nous invite !

Alessandro Monsutti


1 oeuvre, 3 parties
Itinérant
Loris Agosto, 2023
Sculpture, H. 200 cm ; structure en bois, toile, résine, pigments, huiles, vernis, papier mâché

Caillou
Loris Agosto, 2023
Sculpture, D. 35 cm ; toile, résine, pigments, huiles, vernis, papier mâché

Lettre à la Terre
Alessandro Monsutti, 2020, Loris Agosto, 2023
Poésie visuelle, H. 100 cm, L. 68 cm ; cadre en bois, papier, plexiglas


Crédit photo : Massimo Poldelmengo

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